Jean-Marie, a pillar of the French and Italian Department

Jean-Marie Apostolidès - in radio station with Robert Harrison

Jean-Marie Apostolidès is dead. As I write these words, my hand is shaking, and I have to swallow back my tears. A little older than him, I never imagined that I would one day have to mourn his loss. This is what being old is like. Either you disappear yourself, and your worries go with you, or you are doomed to face your own condition in that of your fellow men, including your dearest family members and friends, who fade away one after the other. I repeat here almost word for word a thought of Blaise Pascal, the 17th century French philosopher and mathematician that Jean-Marie placed in the Pantheon of his models.

Like me, Jean-Marie arrived at Stanford University in 1987, hailing from Harvard. He was one of the pillars of the French and Italian Department at Stanford. In a university mostly driven by science and technology, the Humanities lose with him one of its most creative, productive, and endearing members. Jean-Marie was many things: a sociologist, a literary critic, a novelist, a playwright, a theater director, an activist and, of course, a teacher. Far from being a jack-of-all-trades, he was fully involved in each of these activities.

There will be tributes, conferences, seminars, devoted to his literary and scientific work. I am not proposing here, in this unprompted testimony which goal is neither to be exhaustive nor analytical, to list all his accomplishments. The source of these few words is my affection for a departed friend.

A work, his magnum opus, stands out from his production as an essayist: Heroism and Victimization. A History of Sensibility published first in French in Paris in 2003, and reissued in 2011, in a second version that he kindly asked me to preface. He diagnosed a change in collective sensitivities, relating to values, behaviors, and mores, moving abruptly from a culture of heroism, inherited from the Romans and Barbarians who founded the West, to a culture of victimization, inherited from Judeo-Christianity. The relevance of this book to understand the transformations that America is undergoing today is blatant.

Jean-Marie was a man of the left, but of a libertarian left stretching back to May 1968 and spiced up with shades of social democracy – what was called at the time in France the “Second Left,” which meant it was “non-Marxist.” He was keenly attentive to the excesses of the far left, in particular Guy Debord’s “situationisme” and the recourse to political assassination with the Unabomber, alias Theodore Kaczynski. He translated and prefaced the latter’s manifesto, Industrial Society and Its Future, reflecting on the thin line that separates this type of literature from the radical critique of industrial society presented, for example, by Ivan Illich, with whom I worked myself.

Jean-Marie was a provocateur, but used provocation with kindness, with no aggressiveness, wishing only to raise awareness and castigate stupidity. When the Marquis de Sade was fashionable in literature departments, he staged Sade’s Letters From Prison in a setting that was old latrines on campus. He got in trouble for that, because some had not grasped or appreciated the humor of this performance.

Jean-Marie loved women. He was a feminist in the traditional sense of the term, campaigning for equality of status, titles and salaries. A course he gave for several years was called “Women in French Cinema.” It attracted hundreds of students. But he witnessed with dismay the progress of “wokism,” “intersectionality” and “cancel culture” which according to him resulted in a “reification” of the great classics of literature or cinema. He saw with sadness that these American inventions were partly derived from French Theory. We shared the same fascination for the most metaphysical film ever made: Alfred Hitchcock’s Vertigo. I very much hope that Jean-Marie had not heard before he died of the latest Hollywood project, which is said to consist of reversing the genders of the two protagonists. Madeleine, the fictitious woman, would become a man of flesh and blood, and Scottie, the transfixed lover, a woman. The shock would have hastened his death.

Jean-Marie was raised as a Catholic. He even considered becoming a priest. He broke up with the Catholic Church early and retraced the circumstances of this break-up in his moving book, L’Audience (2001). I have no doubt that the God of his childhood, if he exists, will welcome him nonetheless with mercy. Either way, he will remain a living presence in the minds of those of us who knew and loved him.

Jean-Pierre Dupuy

Paris, March 28, 2023

 


 

Jean-Marie Apostolidès est mort. En écrivant ces quelques mots, ma main tremble et je dois réprimer des pleurs. Un peu plus âgé que lui, je n’imaginais pas que je serais un jour en situation d’avoir à déplorer sa perte. C’est cela, être âgé. Ou vous disparaissez vous-même, et vos soucis partent avec vous, ou vous êtes condamné à voir votre propre condition dans celle de vos semblables, y compris les membres de votre famille et vos amis les plus chers, qui s’effacent les uns après les autres. Je reprends ici presque mot pour mot une pensée de Blaise Pascal, le philosophe et mathématicien français du dix-septième siècle que Jean-Marie mettait au Panthéon de ses modèles.

Jean-Marie est arrivé à Stanford, comme moi, en 1987, venant de Harvard. Il a été l’un des piliers du département de français et d’italien à Stanford. Les humanités dans cette université tournée principalement vers les sciences et les techniques perdent avec lui l’un de leurs membres les plus créatifs, les plus productifs et les plus attachants. Jean-Marie était beaucoup de choses : sociologue, critique littéraire, romancier, dramaturge, metteur en scène de théâtre, militant et, bien sûr, professeur. Loin d’être un touche-à-tout, il s’investissait à fond dans chacune de ces activités.

Il y aura forcément des hommages, des colloques, des séminaires, consacrés à son œuvre littéraire et scientifique, et je ne veux pas ici, dans ce témoignage spontané, qui ne vise ni à l’exhaustivité ni à l’analyse, en faire l’inventaire. C’est l’affection pour l’ami disparu qui me fait écrire ces quelques notes.

Un ouvrage, son opus magnum, se détache de sa production comme essayiste : Héroïsme et victimisation. Une histoire de la sensibilité, paru à Paris en 2003 et réédité en 2011, dans une seconde version qu’il m’avait fait l’amitié de me demander de préfacer. Il y diagnostiquait une mutation des sensibilités collectives, portant sur des valeurs, des comportements et des mœurs, passant brusquement d’une culture de l’héroïsme, héritée des Romains et des Barbares qui fondèrent l’Occident, à une culture de la victimisation, héritée du judéo-christianisme. La pertinence de ce livre pour les transformations que connaît l’Amérique aujourd’hui est flagrante.

Jean-Marie était un homme de gauche, mais d’une gauche libertaire, issue du mouvement de mai 1968 et mâtinée de social-démocratie – ce qu’on appelait en France à l’époque la « seconde gauche », ce qui voulait dire « non marxiste ». Il s’est beaucoup intéressé aux dérives de la gauche extrême, en particulier le situationnisme de Guy Debord et le recours à l’assassinat politique en la personne de l’Unabomber, alias Theodore Kaczynski. Il a traduit et préfacé le manifeste de celui-ci, Industrial Society and Its Future, en réfléchissant à la ligne étroite qui sépare ce type de littérature de la critique radicale de la société industrielle présentée, par exemple, par un Ivan Illich, dont je fus moi-même le collaborateur.

Jean-Marie était un provocateur, mais un provocateur gentil, sans agressivité, dont le seul but était d’éveiller les consciences et de fustiger la bêtise. Alors que le marquis de Sade était à la mode dans les départements de lettres, il avait mise en scène ses Lettres écrites de prison dans un décor qui était d’anciennes latrines sur le campus. Cela lui avait valu quelques ennuis de la part de certains, qui n’avaient pas saisi ou apprécié l’humour de cette représentation.

Jean-Marie aimait les femmes. Il était féministe au sens traditionnel du terme, militant pour l’égalité des statuts, des fonctions et des salaires. Un cours qu’il donna pendant plusieurs années s’intitulait « Les femmes dans le cinéma français. » Il attira des centaines d’étudiants et d’étudiantes. Mais il voyait avec consternation les progrès du « wokisme », de l’intersectionnisme et de la « Cancel Culture », débouchant sur une « rectification » des grands classiques de la littérature ou du cinéma. Il voyait bien avec tristesse que ces inventions américaines étaient issues en partie de la « French Theory ». Nous partagions la même fascination pour le film le plus métaphysique qui ait jamais été conçu : le Vertigo d’Alfred Hitchcock. Je souhaite très fort que Jean-Marie n’ait eu vent avant de mourir du dernier projet de Hollywood, qui consisterait dit-on à inverser les genres des deux protagonistes. Madeleine, la femme fictive, deviendrait un homme en chair et en os, et Scottie, l’amoureux transi, une femme. Le choc aurait hâté son décès.

Jean-Marie avait reçu une éducation catholique et ils se destinait même à la prêtrise. Il a rompu avec elle et raconté dans un livre bouleversant, L’Audience (2001), les circonstances de cette rupture. Je ne doute pas que le Dieu de son enfance, s’il existe, l’accueille néanmoins avec mansuétude. It restera de toute façon une présence vivante dans nos esprits, nous qui l’avons connu et aimé.

Jean-Pierre Dupuy

Paris, le 28 mars 2023

Jean-Marie Apostolidès

News Announcement: Professor Jean-Marie Apostolidès Dies